
L’arrêt Commune de Tassin la Demi-Lune rendu par le Conseil d’Etat le 12 mai 2022 illustre le contrôle qu’est susceptible d’opérer le juge administratif de la décision prise par l’autorité compétente en matière d’urbanisme de ne pas faire bénéficier un projet de construction de règles alternatives favorables prévues dans le règlement écrit d’un PLUi.
Etait contesté l'arrêté en date du 3 mai 2018 par lequel le maire de la commune de Tassin la Demi-Lune a refusé de délivrer à la société FR Immobilier le permis de construire qu’elle sollicitait pour un immeuble de quarante-sept logements. Parmi d’autres motifs, l’autorité compétente en matière d’urbanisme devait estimer que le projet méconnaissait notamment l’articles UC 6.4.1 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal de la Métropole de Lyon.
Le commentaire de cette décision nous offre l’occasion de revenir sur une distinction fondamentale : celle opposant les dérogations et les exceptions dans la rédaction du règlement du PLU.
Cette différence entre l’application alternative de la règle, au titre de l’exception, et la non-application de la règle, au titre de la dérogation, n’est pas toujours bien maîtrisée en pratique par les auteurs de PLU. Elle a déjà été examinée dans le cadre des travaux du GRIDAUH (Groupement d’intérêt public de recherche dans les domaines de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’habitat), notamment dans la fiche très éclairante rédigée par Jean-François Inserguet (J.-F. Inserguet, « L’écriture des « règles alternatives » ou « exceptions » ?», GRIDAUH, Ecriture du PLU, L’écriture du règlement du PLU : problèmes généraux, Fiche 6, 30 novembre 2018.).
LA DEROGATION OU LA NON-APPLICATION DE LA REGLE
La technique de la dérogation consiste à « autoriser, à l’occasion d’une décision relative à l’occupation des sols, la non-application du règlement » (Inserguet, précité). Or, l’utilisation des dérogations a été interdite par la loi n°76-1285 du 31 décembre 1976 portant réforme de l’urbanisme pour mettre un terme à des pratiques jugées abusives. Autrefois située à l'article L. 123-1-9 du code de l’urbanisme, cette interdiction est désormais codifiée à l’article L. 152-3 du code de l’urbanisme. Si les règles et servitudes définies par un PLU peuvent faire l’objet d’adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles et le caractère des constructions avoisinantes, elles ne peuvent faire l'objet d'aucune autre dérogation que celles prévues par les articles L. 152-4 à L. 152-6-4 du code de l’urbanisme. Il est à noter que la liste de ces dernières dérogations a été considérablement allongée depuis 2002.
L'EXCEPTION OU LA MODULATION DE LA REGLE
La technique de la « règle alternative » ou « exception » consiste « à prévoir, à côté d’une règle générale, une ou plusieurs règles subsidiaires visant des hypothèses plus limitées que cette dernière » (Inserguet, précité). Il s’agit donc d’une modulation dans l’application du règlement et non une mise à l’écart de ce dernier. Le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 portant modernisation du contenu du PLU a conféré une valeur réglementaire à cette pratique déjà admise dans la jurisprudence, sous l’appellation de « règles alternatives » (article R. 151-13 du code de l’urbanisme).
Il ressort de la jurisprudence que l’exception à une règle d’implantation est légale si sa précision et son encadrement sont suffisants (CE, 24 avril 2019, n° 420965, Commune de Colombier-Saugnieu : JurisData n° 2019-006596). Le Conseil d’Etat rappelle en effet qu’un règlement de PLU peut contenir des dispositions permettant de faire exception aux règles générales d'implantation qu'il fixe à la condition que lesdites dispositions soient suffisamment encadrées. Il estime que tel est bien le cas de l’article UD7 du règlement du PLU de Colombier-Saugnieu selon lequel : « Une implantation différente de celle mentionnée ci-dessus (règle d’implantation des constructions par rapport aux limites parcellaires imposant une distance minimale de retrait) peut être acceptée pour : (...) / des lotissements ou opérations groupées comportant au moins cinq logements (...) ».
L'ARTICLE UC 6.4. DU REGLEMENT DU PLUi DE LYON METROPOLE
L'article UC 6.4.1. du règlement du PLUi de la Métropole de Lyon, relatif à l'implantation des constructions par rapport aux emprises publiques et aux voies, est rédigé ainsi :
6.4.1 Règle générale : « Dans le secteur UC1, les constructions doivent être implantées à une distance maximale de 5 mètres par rapport à ladite limite. » (...)
6.4.2 Règles particulières : « Des implantations différentes de celles fixées ci-dessus peuvent être autorisées ou imposées dans les cas suivants : (...)
- prise en compte de l'implantation, de la volumétrie des constructions et de la morphologie urbaine environnante afin que le projet s'insère sans rompre l'harmonie des lieux, d'un front bâti constitué, d'une organisation urbaine particulière (...) ».
UNE REDACTION QUI INTERPELLE
Sur la forme, l’article 6.4.2 établit donc une « règle particulière » distincte de la « règle générale ». Du point de vue de la distinction opérée ci-dessus, il semble donc qu’il s’agisse d’une « règle alternative ». Sur le fond, la chose est moins évidente. Car la formulation de l’article 6.4.2 est pour le moins générale et ses dispositions ne fixent pas de limite véritable à son utilisation pas plus qu’elles ne précisent les motifs justifiant qu’il y soit recouru. Faute d’être suffisamment ciselée, la légalité de la règle alternative est contestable. Mieux, il est même possible de voir en elle une règle dérogatoire à l’application susceptible d’être généralisée…
LE POSITIONNEMENT DU JUGE DE L'EXCES DE POUVOIR
En l’espèce, c’est précisément la décision du maire de la commune de ne pas y recourir qui se trouve contestée par la société FR Immobilier. La CAA de Lyon annule cette décision après avoir estimé que l'implantation alternative de la construction projetée était justifiée, d’une part, par la faible ampleur du dépassement et, d’autre part, par l’implantation des constructions avoisinantes.
Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement.
En premier lieu, il estime que la CAA commet une erreur de droit en se fondant sur la faible importance du dépassement, sans rechercher, pour l'application de ces dispositions, si cette implantation était justifiée par la prise en compte de l'implantation, de la volumétrie des constructions et de la morphologie urbaine environnante afin que le projet s'insère sans rompre l'harmonie des lieux, d'un front bâti constitué ou d'une organisation urbaine particulière, critères précisément posés par cet article 6.4.2.2.
En second lieu, le Conseil d’Etat confirme que la décision de non recours à la règle alternative doit faire l’objet d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de la part du juge administratif. Le paragraphe n° 4 de l’arrêt mérite d’être restitué ici : « Lorsque l'autorité administrative compétente, se prononçant sur une demande d'autorisation d'urbanisme, ne fait pas usage d'une faculté qui lui est ouverte par le règlement d'un plan local d'urbanisme d'accorder ou d'imposer l'application d'une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s'assurer que l'autorité administrative n'a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d'erreur manifeste d'appréciation. » L’expression « règle particulière, dérogeant à une règle générale » employée par le Conseil illustre la qualification délicate d’une règle alternative confinant à la dérogation déguisée.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que de nombreuses constructions avoisinantes sont implantées à une distance maximale de 5 mètres conformément aux dispositions générales de l'article 6.4.1. et qu’en conséquence la CAA a commis une erreur dans la qualification des environs de la parcelle d’implantation. Dès lors, en jugeant que le maire de Tassin la Demi-Lune avait entaché sa décision d'illégalité en opposant au projet la méconnaissance de la règle générale fixée à l'article 6.4.1, au lieu de lui faire application des règles particulières prévues à l'article 6.4.2.2, la CAA de Lyon a non seulement commis une erreur de droit mais, au surplus, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
QU'EN CONCLURE ?
L’arrêt Commune de Tassin la Demi-Lune sonne donc comme un avertissement. Pour ne pas exposer au risque de l’annulation les décisions de l’autorité municipale compétente en matière d’urbanisme, les auteurs de PLU ou de PLUi doivent donc impérativement fixer des motifs explicites et des conditions d’application précises au jeu des règles alternatives qu’ils pourraient être tentés d’établir.
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